Le Conseil francilien du Mouvement de la Paix est partenaire de longue date des manifestations de la communauté russophone de France, notamment du défilé « Régiment Immortel ». Aujourd’hui nous parlons avec Yves-Jean Gallas, ancien Président du Conseil francilien, actuellement son Secrétaire (Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.).
- Pourriez-vous vous présenter ?
- Avec une formation d’ingénieur Arts et Métiers (ICAM), j’ai travaillé dans l’industrie pendant la plus grande partie de ma carrière avec différents postes de responsabilité globale : dans l’aéronautique et la métallurgie surtout, dans des services de recherche, en conseil en organisation et en développement d’activité. Avec en parallèle une activité universitaire. Progressivement je me suis spécialisé sur les questions d’organisation, de gestion des compétences et d’emploi. C’est cela qui a décidé de ma participation à un programme TACIS en Ukraine sur les besoins en matière de services de l’emploi de 1994 à 1997. J’ai aussi passé près d’un an et demi au Cameroun pour faire du développement économique et scolaire.
Je suis au Mouvement de la Paix depuis 30 ans environ où j’ai occupé, et occupe encore, des responsabilités locales, régionales et nationales. J’ai suivi particulièrement les questions de l’OTAN, de la situation dans l’Est de l’Europe et en Extrême Orient, du commerce des armes et des dépenses militaires, du Kurdistan, du lien entre guerres et dérèglement climatique …
- Pourriez-vous nous parler de l’histoire de votre mouvement ?
- Le Mouvement a été créé en 1948 par d’anciens résistants au nazisme dans le but de continuer, la paix revenue, le travail en commun réalisé pendant la guerre contre l’occupant. Il regroupe des personnes de toutes sensibilités philosophiques et religieuses, toutes celles et tous ceux qui veulent se mobiliser pour la recherche et le maintien des conditions de paix, en France et à l’étranger (syndicalistes et adhérents d’associations, adhérents politiques, représentants religieux, libres penseurs, etc.).
Il comprend 2600 adhérents dans les 250 comités locaux qui sont son âme. Chacun d’entre eux organise des initiatives sur son territoire, notamment pour le 8 mai, le 21 septembre journée internationale de la Paix et le 11 novembre. Et bien d’autres animations. Son engagement contre l’arme nucléaire date de son origine (Appel de Stockholm - 1950) et il commémore chaque année les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki : cette année il organise un voyage au Japon, plus de 120 personnes prévues dont beaucoup de jeunes, pour participer à la commémoration officielle au début du mois d’août 2025. Il est encore temps de s’inscrire pour y participer ! Comme boussole, il a adopté les huit domaines d’action de la Culture de la Paix telle que définie par les Nations Unies en 1999, les 17 Objectifs de Développement Durable et la Charte des Nations Unies. Il participe aux mobilisations pour le climat, en dénonçant l’impact des guerres sur l’environnement. Parmi ses campagnes prioritaires, il y a la guerre en Palestine et en Ukraine, les guerres oubliées, ou presque, en République Démocratique du Congo, au Myanmar, au Kurdistan, au Yémen… 42 pays connaissent la guerre aujourd’hui. Le Mouvement de la Paix se mobilise contre l’OTAN qui est actuellement le plus grand fauteur de guerre. Les déséquilibres sociaux sont aussi des obstacles à une vie pacifiée.
- Quelle est la place du Conseil francilien dans le Mouvement de la Paix ?
- L’objectif du Conseil francilien du Mouvement de la Paix est de coordonner des actions en région parisienne avec des structures partenaires régionale et nationale. C’est une association d’intérêt général régie par la loi de 1901 et enregistrée en tant que telle à la Préfecture de Seine Saint-Denis. Il fait partie de l’ensemble qui compose le Mouvement de la Paix national mais il définit lui-même sa propre politique, surtout régionale, dans le respect de la Culture de la Paix.
- On constate votre intérêt pour l’espace post-soviétique : d’où vient-il ? Pouvez-vous nous raconter plus en détail l’histoire de cette coopération ?
- Comme beaucoup de personnes, j’ai suivi les évolutions de l’Union Soviétique, sa politique, ses changements puis les conditions de sa dissolution. Tout un pan important de l’histoire du monde s’est écroulé en 1990-1991. Quand j’ai postulé pour une mission TACIS en Ukraine, de 1994 à 1997, je voulais connaitre ces nouvelles conditions et participer aux changements en cours de manière solidaire : j’ai travaillé à la création du Service national de l’Emploi, y compris les indemnisations des chômeurs et la création d’entreprise. Et cela particulièrement à Kiev, Rovno dans l’Ouest et Lougansk dans le Donbass. Je garde un très bon souvenir des rapports humains que j’ai pu développer avec les collègues, les partenaires et les personnes de rencontre. J’ai pu me rendre compte de leur volonté de sortir de leur situation difficile, rendue encore plus difficile par les décisions de la plupart des pays occidentaux. Le souvenir de la Grande Guerre patriotique restait vivace et la paix était évoquée comme un objectif prioritaire, notamment au travers de l’Acte final d’Helsinki, de l’OSCE et de la recherche d’une Sécurité nationale qui ne se fera pas au détriment de la Sécurité des autres peuples.
J’ai pu constater la proximité, une même identité, entre les habitants du Donbass et les Russes de l’autre côté de la frontière : d’ailleurs cette frontière était « fictive » et pouvait être traversée sans aucun contrôle jusqu’en 1997. J’ai ainsi compris la très grande violence de l’interdiction de la langue russe dans l’est du pays, langue maternelle, culturelle, essentielle. Étant d’origine bretonne, nous avons vécu, de manière moins brutale sans doute, ce même traumatisme linguistique pendant de nombreuses décennies.
J’ai appris cette belle langue russe (que j’ai hélas un peu perdue …) pour avoir des contacts directs avec la population mais aussi pour le travail et pour avoir un accès direct à la culture russo-ukrainienne. Je n’ai pratiqué que marginalement la langue ukrainienne dont la généralisation s’est faite au milieu de ma mission.
Les contacts réguliers avec mes collègues de TACIS, travaillant sur des sujets et lieux différents, m’ont permis de constater le début de l’implantation de l’OTAN dans les plaines agricoles. J’ai également croisé à Kiev Georges Soros … Je me suis rendu compte, par des lectures ultérieures, que cela faisait partie d’un plan d’encerclement, d’endiguement de la Russie, depuis au moins 30 ans - Kissinger, Brzezinski, Rand corporation, …
- Comment s’est établi votre contact avec la communauté russophone de France ?
- Après mon retour en France, je suis resté en contact avec des structures d’organisation d’échanges économiques avec l’Ukraine, qui travaillaient en concertation avec leurs homologues russes.
Plus récemment, il y a dix ans environ, par des amis, j’ai eu l’information de l’existence d’un réseau d’aide aux populations du Donbass, alors en pleine guerre civile sous les bombardements de l’armée ukrainienne. Vitaliy Strouts et Gueorgui Chepelev coordonnaient ce projet. Les besoins étaient nombreux, vêtements, nourritures, équipements de base… C’est ainsi que j’ai pu développer, sous une autre forme, mon amitié pour les communautés russophones, y compris en France, en me joignant, avec mes collègues du Mouvement, à l’aide humanitaire au Donbass.
- Qu’est-ce que représente pour vous la commémoration de la Victoire et le Régiment Immortel ?
- Le Conseil francilien et moi-même y participent depuis environ 10 ans. Pour nous, il est indispensable de commémorer cette lutte contre le nazisme aux côtés de tous les pays qui y ont contribué, sans exception. Malheureusement, cette commémoration reste souvent confidentielle en France et de plus on « oublie » l’apport essentiel de l’URSS et des pays de l’Est dans cette victoire. Le Mouvement de la Paix reste très fidèle aux valeurs que ses fondateurs lui ont données, la résistance à toutes les mesures contraires à la liberté individuelle et collective. Nos fondateurs sont décédés mais leur mémoire reste très présente. Je suis moi-même né en 1942 et la maternité où je suis né a été rasée quelques jours après que ma mère et moi l’ayons quittée, j’avais quelques jours à peine. Je suis aussi de la génération qui a connu la Guerre d’Algérie, j’y ai échappé parce que je faisais des études supérieures mais mes deux frères y ont participé et en ont gardé des séquelles. Nous constatons que souvent, dans des discussions en famille, les guerres restent présentes même cent ans après : le devoir de mémoire est une nécessité de civilisations et nous devons rester solidaires de tous les peuples qui ont souffert des guerres. Cela a fait partie des discussions importantes que nous avons eues avec les initiateurs et organisateurs du Régiment Immortel : Gueorgui Chepelev, Vitaliy Strouts, Nelli Prozorova, Fabienne Auffret ainsi que tous leurs autres amis. J’ajouterai que dans cette période où le négationnisme concernant des grands conflits passés et en cours se développe, nous devons être très circonspects à l’égard de personnes et organisations qui, en apparence, ont des analyses proches des nôtres mais qui, en réalité, sont les complices de ceux qui développent des idées réellement négationnistes contre lesquels nous luttons et qui contribuent ainsi à développer la violence, en France, en Europe et dans le monde.
- Quel est votre point de vue sur les actualités politiques concernant la Russie ?
- Vous n’ignorez pas que la presse russe est censurée en France et que pour connaitre les positions sur tous les sujets concernant ce pays, il faut passer par des médias étrangers. Heureusement, en Europe occidentale, Belgique, Italie, Suisse notamment, il existe des organisations et des personnes qui suivent et analysent les déclarations et décisions officielles russes. Les interventions russes aux Nations Unies sont aussi une source d’information importante.
Il est important, avec certains journalistes courageux, de briser le mur du silence et de permettre aux personnes que cela intéresse de connaitre le point de vue des habitants et responsables de la Fédération de Russie, et ainsi de construire une opinion basée sur des informations solides et plurielles. La Culture de la Paix passe aussi par l’accès à des informations vérifiées. Chacun en France est témoin du matraquage fait par une grande majorité de la presse et des médias pour imposer les informations « officielles ». Dans une guerre, la première victime est la vérité, disait Rudyard Kipling. Anne Morelli, historienne belge, dans son livre « Principes élémentaires de propagande de guerre » nous explique les méthodes de la fabrication de l’ennemi ! Ce livre est à l’origine d’une exposition très intéressante définissant les dix commandements de la propagande de guerre, exposition qui peut circuler.
J’ai coorganisé des conférences, notamment avec Michel Collon d’Investig’action, Nils Andersson et Anne Morelli, pour démontrer que le conflit actuel était annoncé et préparé depuis plusieurs décennies pour permettre l’extension de l’OTAN, donc des USA, vers l’Est, malgré les promesses faites en 1991 à Mikhaïl Gorbatchev.
L’analyse du Conseil francilien sur la situation dans l’Est de l’Europe est donc fondée sur l’ensemble de ces réflexions, contacts et débats, y compris contradictoires, ... Chaque année, en février, nous organisons un rassemblement à Paris pour exiger un cessez-le-feu en Ukraine, l’arrêt des livraisons d’armes et l’ouverture de négociations sur la sécurité de tous les pays du monde. Il faut rappeler que selon la Charte des Nations Unies, la sécurité d’un pays ne peut se faire au détriment de la sécurité d’un autre pays. Nos rassemblements s’opposent aux manifestations d’organisations bellicistes qui veulent la poursuite du conflit. Nous observons que nous sommes de plus en plus écoutés.
- Quelle est la position du Conseil francilien sur la guerre russo-ukrainienne ? Où se trouve, à votre avis, la sortie de ce conflit ?
- Les membres du Mouvement de la Paix, y compris ceux qui vivent en Ile-de-France, sont soumis à une propagande effrénée qui tente de cacher la réalité des guerres, plus de 44 dans le monde en 2022. Ce qui se passe en Ukraine entre dans cette analyse et si l’on n’a pas des éléments, des preuves, démontrant le caractère mensonger de beaucoup des messages rapportés par bon nombre de nos médias, chacun est influencé par des doutes ou de fausses évidences. Même des médias et organisations traditionnellement proches de nous se font piéger par ces mensonges quotidiens, tant pour l’Ukraine que pour d’autres guerres comme celles qui se déroulent en Palestine, en République Démocratique du Congo, au Soudan, au Myanmar, etc.
Cependant, en ce qui concerne nos adhérents, au-delà de l’influence qu’ils ne peuvent pas complètement éviter, leur refus pacifiste de considérer les guerres comme légitimes, car la violence ne produit en retour que de la violence, engendre une exigence claire pour un cessez-le-feu durable, pour l’arrêt de toutes fournitures d’armes aux belligérants et pour l’ouverture de discussions, sous l’égide des Nations Unies dont c’est la vocation, pour trouver les solutions en vue d’une Paix durable. La question de la sécurité des peuples, passant par une solidarité de base, reste fondamentale. La priorité absolue reste l’arrêt des bombardements pour que les populations puissent enfin vivre normalement, il sera toujours temps, après, que les Tribunaux internationaux tentent de faire connaitre les responsabilités respectives. Certains dysfonctionnements des Nations Unies ne doivent pas les écarter de leur rôle essentiel : que serait le monde actuel si l’ONU n’existait pas et si sa Charte n’avait pas gardé toute sa pertinence ?
- Quelle est la position du Conseil francilien sur l’OTAN ?
- Le Mouvement de la Paix a rassemblé autour de lui un collectif français d’environ 50 organisations contre l’OTAN : « Non à l’OTAN, Non à la Guerre ». Pour nous, l’avenir radieux de l’OTAN c’est sa dissolution. Nous condamnons l’extension vers l’Est de l’OTAN et toutes les provocations faites notamment par l’Union Européenne qui a confié sa politique de Défense à l’OTAN. Nous demandons que notre pays sorte de l’OTAN et nous incitons les Mouvements de Paix des autres pays à faire de même. Nous participerons, comme chaque année, les 21 et 22 juin 2025 prochains au contresommet de l’OTAN organisé par le collectif international « No to War - No to NATO », trois jours avant le sommet annuel des 32 pays de l’OTAN, à la Haye (Pays Bas).
- Comment voyez-vous l’avenir de l’humanité ?
- Grave question … la violence sous toutes ses formes exacerbées ne pourra aboutir qu’à la quasi-disparition de l’humanité. Si nous ne réagissons pas, nous sommes anesthésiés par les images d’une violence extrême en Ukraine et en Palestine que les médias rapportent, fakenews comprises. En revanche, on ne parle pas, ou très peu, des conflits encore plus meurtriers au Soudan, au Yémen, en République Démocratique du Congo, au Myanmar par exemple.
La violence sociale, contre les syndicats et les travailleurs sur les salaires, retraites, conditions de travail, contribue à créer cette insécurité.
De même, les guerres contribuent à la destruction de l’environnement donc au dérèglement climatique. Et celui-ci, en retour, notamment par la désertification sous différentes formes qu’il provoque, génère des conflits et des guerres : un cercle vicieux !
C’est aux peuples, chacun dans son pays selon leur diversité et leurs spécificités, de lutter pour faire entendre leur voix pour la paix, auprès de leurs représentants et de leurs dirigeants, auprès des instances internationales, etc. Il n’existe pas une seule forme de démocratie, elle est définie dans chaque pays par sa culture, ses traditions, son histoire. Les Nations Unies, quels que soient ses handicaps et dysfonctionnements qu’il faut contribuer à dépasser et réparer, ont comme objectif de permettre l’expression de cette diversité.
Pour le Mouvement de la Paix, les conflits, tous, doivent se régler par des négociations, sans avoir recours aux armes. Nous devons nous faire entendre car cette évidence n’est pas suffisamment partagée.
- Qu’est-ce que vous conseilleriez à ceux qui s’intéressent à la lutte pour la Paix et à votre Mouvement ?
- Nous sommes trop peu nombreux à lutter pour la Paix de manière concrète, pas seulement au moyen de paroles abstraites. La Paix se construit chaque jour, par l’éducation, la place des femmes, la liberté de la presse, la lutte contre les discriminations de toute nature, le partage de la science, etc. Chacune et chacun selon ses aspirations, ses compétences, ses opportunités : il faut « faire monde » dans toute sa diversité nationale et internationale.
Le Mouvement de la Paix est un des moyens qui peut permettre ces débats et ces actions, mais il n’est pas le seul, chaque action bien ciblée peut être efficace. Nous devons tous constituer un réseau pour rendre positifs nos différences et nos particularismes.
Nous pouvons en débattre ensemble quand vous le voulez.
Le journal édité par le Mouvement de la Paix « Planète Paix » est un des outils importants pour se former, échanger, débattre.
Pour en savoir plus, pour adhérer et s’abonner, consultez notre site www.mvtpaix.org.
- En guise de conclusion …
- L’idéologie dominante cherche à marginaliser la Russie et ses habitants pour, pense-t-elle, asseoir son propre pouvoir. Et avec elle la Chine. Nous ne devons pas être dupes, cela va à l’encontre des intérêts bien compris de tous les peuples, surtout les européens. La tentative qui est faite de nous opposer entre nous, de l’Atlantique à l’Oural (!), doit être combattue parce que contreproductive pour tous. Les liens qui unissent les Ukrainiens, les Russes, les Français, tous les Européens, sont multi-centenaires, voire millénaires, nous devons partager toutes nos richesses culturelles, naturelles et matérielles, et nous enrichir mutuellement. C’est une condition de survie de l’humanité lorsque l’horloge de l’Apocalypse, selon l’Association des scientifiques atomistes, est à 89 secondes seulement de la catastrophe finale.