Auteur: Marie-Françoise Pain (ancienne officier de la Marine Nationale) https://www.facebook.com/mariefrancoise.pain.3
Le 16 mai 1932, le paquebot "Georges Philippar" (le «Titanic français») victime d'un incendie au large du cap Gardafuie (golfe d'Aden), coulait lors du retour de son voyage inaugural, entrainant la mort de 52 personnes dont le célèbre journaliste Albert Londres. Parmi les 767 personnes à bord, la majorité ont été sauvées par le tanker soviétique "Sovietskaia Neft" arrivé le premier sur place.
Lancé le 6 novembre 1930 à Saint-Nazaire, ce paquebot luxueux de la Compagnie des messageries maritimes était destiné au transport de passagers sur les lignes d'Extrême-Orient. Il était le sister-ship du paquebot Felix Roussel lancé un an avant. Il a pris le nom de Georges Philippar (1883-1959), alors président de la compagnie (ce qui est assez rare de donner le nom d'un personnage de son vivant à un bateau).
Considéré comme moderne (il est équipé de 2 moteurs Diesel, ce qui était assez nouveau pour les paquebots de l'époque), le navire respecte les dernières réglementations de la convention de Londres (8 cloisons étanches, 16 embarcations de sauvetage, compas, radio, réseau téléphonique aux dernières normes techniques). Pourtant lors de sa construction il a échappé à deux départs de feu dus à des problèmes sur le circuit électrique. Il semble que la tension de 220 volts en courant continu délivré dans le navire (élevée pour l'époque), était trop élevée pour le câblage électrique du bateau.
Le 26 février 1932, il entame son voyage inaugural en direction de l'Extrême-Orient et embarque 358 passagers, des habitués de la ligne, invités par la compagnie. Direction Port Saïd, Djibouti, Colombo, Saïgon, Shanghai, avec arrivée à Yokohama.
Le journaliste et écrivain Albert Londres, réputé pour ses reportages engagés (bagne de Guyane, exploitation des travailleurs dans l'Afrique coloniale, ...) a embarqué à bord du Georges Philippar à Shangaï pour revenir en France. Il était parti en Chine pour couvrir la guerre sino-japonaise et venait tout juste de réaliser une enquête sur les trafics d'armes et d'opium en Chine. Il aurait indiqué à de nombreux proches qu’il était sur le point de publier d’importantes révélations.
Reparti du Japon vers l'Europe, de retour de son voyage inaugural, le Georges Philippar transportait 767 personnes (dont 253 membres d'équipage). Alors qu'il quittait les eaux de l'océan Indien pour entrer dans le golfe d'Aden, le 16 mai 1932, aux environs de 2 heures 10, une passagère aperçut de la fumée sortir de la cabine numéro. L'officier de quart après avoir prévenu le commandant tenta d'éteindre le feu avec un extincteur. Quand il se rendit compte de son impuissance à maîtriser le sinistre, il était déjà trop tard. Le vent aidant, le foyer se révéla trop important.
Le commandant décida alors de fermer les portes étanches mais sa décision trop rapide laissa 49 passagers prisonniers, notamment Albert Londres. Ne pouvant s'échapper, ils moururent brûlés vifs ou asphyxiés.
Suite à l'envoi du SOS, le premier bateau à arriver sur place a été le tanker "Sovietskaia Neft" commandé par le capitaine Alexandre Mitrofanovitch Alekseiev dès 3 heure du matin, qui a pu recueillir les rescapés des embarcations qui avaient pu être mises à l'eau, et, en faisant des aller et retour entre le paquebot en feu et le tanker à l'aide d'embarcations, a pu sauver 438 personnes.
Il sera rejoint au petit matin par les cargos britanniques "Contractor" et "Mashud" qui parviendront à sauver respectivement 129 et 149 personnes. A 08h35 le matin, le sauvetage est terminé quand le capitaine Vicq, commandant le paquebot, resté jusqu'au dernier moment à bord pour vérifier qu'il ne restait pas des personnes à sauver, monte à son tour, victime de brûlures, dans une embarcation de sauvetage (recueilli par "Sovietskaia Neft")
Les rescapés à bord du "Sovietskaia Neft" seront par la suite transférés à bord du "André Lebon", un paquebot des Messageries Maritimes, qui avait été dérouté pour le sauvetage, et qui les conduira à Djibouti où ils seront embarqués quelques jours après sur le "Général Voyron" qui revenait de Madagascar et rentrait en France.
Par la suite l'équipage du "Sovietskaia Neft" sera décoré «Pour leur dévouement et leur courage» au nom de la France par l'ambassadeur de France en URSS, et le capitaine Alexandre Alekseev recevra la Légion d'honneur.
Le paquebot finit par couler 3 jours plus tard le 19 mai, après en ayant dérivé de 45 nautiques au large du cap Gardafui, dans le golfe d'Aden.
Le superbe paquebot blanc Georges Philippar n'aura navigué (commercialement) que 80 jours.
L'enquête conclut que l'incendie avait pour origine un court-circuit qui avait pris naissance dans un câble électrique dissimulé derrière la cloison en bois d'une cabine. En effet, lors de son voyage aller, les électriciens du bord n'ont cessé d'être sollicités pour traiter des courts circuits, neutraliser des réseaux électriques victimes d'échauffements de câbles dangereux. Des câbles de secours ont même dû être achetés lors des escales techniques. Le Bureau Veritas avait ordonné, avant le départ, le déplacement du tableau électrique général, le jugeant insuffisamment protégé.
Toutefois, bien que cette cause soit la plus probable (les incendies à bord d'origine électrique s'étaient déjà produits plusieurs fois), la Compagnie restant très discrète sur l'incendie, les rumeurs se répandirent. L'une d'elles imputa à la mafia asiatique.
Mais ce qui a nourri les rumeurs (voire la théorie du complot) sont les témoignages discordants sur les circonstances de la mort d'Albert Londres.
Lors de l'évacuation du navire, M. Julien, un voisin de cabine d'Albert Londres, dit l'avoir entendu appeler à l'aide, bloqué dans sa cabine probablement, selon M. Julien, car il avait dû activer la fermeture électrique de sa cabine que le court-circuit qui avait provoqué l'incendie avait bloquée.
Dans son ouvrage "Paquebots vers l'Orient", Philippe Ramona relate le témoignage de l'officier mécanicien de bord, un dénommé Sadorge, témoignage qui fit l'objet d'un procès-verbal lors de son audition pendant l'enquête sur la catastrophe qui entend des appels provenant d'une cabine de luxe du pont immédiatement inférieur. Il aperçoit alors un passager qui sortait par le hublot et qui appelait à l'aide, tentant d'échapper aux fumées. Sadorge lui descend alors une manche à eau, sorte de tuyau de toile servant à laver le pont et à la lutte contre l'incendie. L'homme, paniqué, s'en saisit et arrive à grimper jusqu'au pont des embarcations. Le pensant hors de danger, Sardorge part s'occuper des passagers commençant à affluer et perdus sur le pont. Or la manche à eau, attaquée par les flammes, céda, précipitant Albert Londres dans la mer. La description physique faite par le mécanicien, correspond trait pour trait à celle de Londres, qui serait donc mort noyé, à l'instar de nombreux autres passagers.
Albert Londres allait-il faire des révélations "brûlantes" ? Nous ne le saurons jamais, car ses écrits ont brûlé à bord. Toutefois, les hypothèses d'un complot sont renforcées par la mort quelques jours plus tard, du couple d'amis Alfred et Violette Lang-Villar qui voyageait avec Albert Londres sur le Georges Philippar. Rescapés de l'incendie et pressés de rentrer à Paris, ils avaient débarqué du "Général Voyron" à Port-Saïd pour prendre un avion qui faisait la liaison Port-Saïd - Brindisi. Une fois arrivés Brindisi, dans le sud de l'Italie, ils sont pris en charge par les pilotes Marcel Goulette et Lucien Moreau, spécialement mandatés par le quotidien français l'Excelsior pour les ramener à Paris le plus vite possible afin d'avoir l'exclusivité de leurs témoignages. Ils périssent tous les quatres dans le crash du Farman F.190 de Goulette sur les Apennins. Marcel Goulette était un grand aviateur. Formé à l'aviation militaire pendant la Grande Guerre, il est à l'origine du premier avion français à aile haute épaisse et non haubanée. Il a fait sa carrière par la suite dans l'aviation coloniale où il a été le premier aviateur à relier la France à Madagascar en avion.
La mort des époux Lang-Villar allait alimenter la théorie du complot de la part de la presse de droite ou d'extrême droite. Alfred Lang-Willar, homme d'affaire, né en Suisse d'une famille juive française et son épouse également née en Suisse, devenaient des agents bolcheviques. Ils faisaient notamment partie des rescapés à bord du tanker soviétique "Sovietskaia Neft".
Le Figaro dénonce alors un complot communiste. https://www.lefigaro.fr/histoire/archives/2017/05/15/26010-20170515ARTFIG00261-il-y-a-85-ans-la-mort-suspecte-d-albert-londres.php
Le journal Cyrano s'empare des origines suisses de Mme Lang-Willar, qui sous la plume de son journaliste deviennent des origines russes. Elle est soupçonnée d'avoir émis des messages radios depuis le navire soviétique. Le Petit Marseillais voit dans les époux Lang-Willar «des personnes plus qu'énigmatiques». D'autres imaginent derrière cette catastrophe la main des triades ou de terroristes indochinois cherchant à faire disparaître Albert Londres, au motif qu'il préparait des révélations explosives sur leur compte.
Article "Albert Londres, le Georges Philippar et les mystérieux agents « bolchéviques »"
hhttp://enenvor.fr/eeo_actu/entredeuxguerres/albert_londres_le_georges_philippar_et_les_mysterieux_agents_bolcheviques.html
L'incendie du paquebot Georges Philippar (Messageries Maritime)
http://www.messageries-maritimes.org/gphilip2.html
В России и Франции вспоминают подвиг советских моряков https://www.1tv.ru/news/2013-05-16/66652-v_rossii_i_frantsii_vspominayut_podvig_sovetskih_moryakov
«Советская нефть» спешит на помощь https://litresp.ru/chitat/ru/С/skryagin-lev-nikolaevich/poslednij-sos-voljturno/11
Georges Philippar- communiqués de l'incendie (EN) https://www.derbysulzers.com/shipgeorges.html